Simone Zucchi

Une première constatation est que ces tableaux portent en eux une « charge », souvent explosive. Cette peinture n’est pas anecdotique.

La deuxième, une fois l’œuvre déployée, est que cette « charge » varie, dans sa nature autant que dans ses effets, selon le tableau concerné. Très rares redites, cette peinture n’est pas figée.

La troisième résulte de notre incapacité à relier ces tableaux à une œuvre précédente . Enfant de Soulages? non, malgré l’opulence de certains noirs. Chargés de l’énergie d’un Pollock, d’un Motherwell ou d’un Resnick ? Donc « Action painter »? Là, on chauffe on brûle, comme disent les enfants dans leurs jeux, mais cette assimilation à un grand moment de l’art du XX ème siècle n’est pas suffisante. Devant les tableaux de Simone Zucchi, l’énergie de « l’action painting » vient à l’esprit, mais on note aussi que chez lui elle n’est pas faite d’une gestuelle précise, ou d’un procédé employé « ne varietur ». C’est plus varié. Difficile à réduire à une formule technique simple, comme un « dripping » de Pollock, un coup de brosse monumental de Motherwell ou de Resnick, pour ne parler que des plus grands. Mais, comme on dit communément, Zucchi « n’y va pas de main morte ». On tient, avec un art où la vigueur et l’engagement corporel est constamment présent, un premier point de repère.

On regarde plus à loisir ces œuvres, on continue donc d’explorer, et la « terra incognita » parcourue dans cette suite de tableaux se révèle plus vaste qu’au premier coup d’œil. Elle grave dans l’esprit du spectateur attentif un climat de découverte de la nature, tel qu’il peut se dégager d’un grand voyage. La démarche d’exprimer sur toile ce climat, de faire respirer son oxygène, est ambitieuse. Mais, dans son atelier, on voit Simone Zucchi peignant à genoux, dans la position de l’adorateur, du planteur dans son jardin… ou de la femme au lavoir? Est-ce le reflet de l’attitude de quelqu’un qui, dans son art, veut plus de prolongement des traditions que de volonté de s’en affranchir?

On constate que cette peinture, certes inhabituelle, est dénuée d’esprit avant-gardiste. Je me souviens avoir eu auparavant ce sentiment devant les œuvres de Joan Mitchell. Mais avec des différences bien sûr. D’abord, il s’agit ici d’un jeune artiste, et le temps viendra de l’ approfondissement, pour arriver à ce que l’on trouve chez Mitchell dans ses tableaux de grande maturité. Ensuite, une autre différence porte, me semble-t-il, sur le type même de relation qu’ils ont à la nature. Au risque d’être simplificateur, je vois dans les tableaux de Joan Mitchell un lien fort avec un monde végétal, un support intérieur fait de jardins, d’arbres et d’herbiers.

Je trouve chez Zucchi un lien de même intensité avec un monde physique, intemporel. Certes le végétal est présent, mais plus encore le minéral, avec ses transformations, ses fusions, ses embrasements. Une impression brûlante. Une source d’images marquée par son goût de jeunesse pour les sciences de la terre, la géologie.. avec, souvent, un sentiment d ‘abîme, de catastrophe qui va avec cette science. Un tableau qu’il juge marquant, et notons que c’est un des rares tableaux pour qui il donne volontiers un titre, évoque pour lui un « tsunami ». Ce titre me semble pouvoir être pris pour un bon révélateur du sens de cette œuvre. Sans guère d’exceptions, ces tableaux nous situent dans un monde puissant, parfois tragique. Constatons aussi que cette impression de force et de tragique est toujours tempérée par un sens très sûr de la couleur, supprimant du même coup ce qui pourrait à la longue oppresser .

Si on ne peut ou ne veut regarder que des œuvres créées par le strict esprit du temps, ce qu’on appelle la mode, on pourra passer son chemin. Si, comme d’autres, on souhaite, par l’art, accéder « aux remous pleins d’ivresses du grand fleuve Diversité »– expression et majuscule de Victor Segalen *– on aimera.

A. Bieber Mai 2012

  • ref. Victor Segalen, Stèles, 1912, Poême « Conseils au bon voyageur » ( dans Stèles du bord du chemin).

www.simonezucchi.com