I’m Arty

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Texte de Julie Martinelli extrait du webzine Boum Bang

Isabelle Marty alias I’m-arty est une artiste collagiste née dans les années 1970. La rue reste son terrain de chasse favori pour se fournir en matières premières. En utilisant ces images qui font partie intégrante de notre paysage visuel urbain qu’elle chine, coupe, lacère, colle et recolle, elle propose une vision de notre temps faite d’icônes déstructurées.

Aujourd’hui basée au 59 Rivoli, fameux squat artistique parisien, où elle a installé sont atelier pour 6 mois. Elle a répondu aux questions de Boum! Bang!

– B!B!: où as-tu pris goût au jeu du dessin, du découpage et du collage? À l’école?

– IM: Je suis artiste depuis des années-lumière (rires). Je n’ai jamais eu accès aux grandes écoles et finalement ça m’aurait fait chier car je n’aimais déjà pas l’école toute petite. J’ai eu un parcours plutôt atypique car je ne me suis pas dirigée tout de suite vers les milieux artistiques. J’ai fais une école d’art déco, avant tout pour gagner ma vie car, dès le début on m’a découragée en me disant que je n’arriverais jamais à être une artiste plasticienne. J’ai travaillé durant de nombreuses années dans la déco, j’ai fabriqué des décors en travaillant essentiellement le métal et en reproduisant du faux marbre.

Puis l’envie de créer et de peindre est arrivée. J’ai commencé par une période acrylique où j’ai réalisée une série de tableaux qui ont plutôt bien marchés mais ça restait toujours à mon goût assez figuratif et naïf. Je restais pas mal sur ma page blanche, il fallait que ça aille plus vite comme pour une photo. Puis le collage est arrivé naturellement à moi, et depuis nous ne nous quittons plus.

– B!B!: quelle est ton rapport au papier?

– IM: Je suis tombée littéralement amoureuse du papier dans une des périodes les plus difficiles de ma vie. Au départ, j’étais complètement fauchée, j’avais pas la place. La colle à papier peint ça coûte rien et le papier je pouvais le trouver dans la rue.

Je chinais pas mal et je faisais de la récup’ à mes heures perdues pour faire de la déco sur meubles par exemple. J’ai deux gamins et le jour de l’anniversaire de mon fils j’avais pas de fric, je voulais lui offrir quelque chose d’atypique pour qu’il puisse être content et fier de son cadeau. J’avais un vieux casier qui trainait. J’ai commencé à coller du papier sur ce casier que j’avais repeint mais qui était toujours aussi moche… J’ai commencé à coller du papier récupéré dans la rue et  j’ai finalement raconté une grande histoire sur ce casier, et ça a beaucoup plu.

– B!B!: j’imagine que cette phase de recherche et de découverte du papier est aussi importante dans la conception de tes œuvres que la manipulation du matériau?

– IM: Il me suffit de me balader de rencontrer le papier et l’histoire se raconte. Il suffit de trouver du papier dans le métro, de ramasser des prospectus, un ticket de métro, n’importe quel emballage… Ça raconte ta journée et l’histoire se concrétise lorsque tu la mets sur un support. Je peux aussi la mettre dans un coin et y revenir. C’est comme une photo. Il y a des journées où par exemple je suis au 59 et je n’ai pas d’idées, donc je sors. Je prends mon manteau et je me casse, je me balade et forcément dans le métro, dans le bus, par terre je trouve du papier et à partir de là je remonte et je bosse.

– B!B!:  on te dit collagiste; la dénomination te convient?

– IM: Je ne veux ni être considérée comme une collagiste ni comme une affichiste. La plupart des gens qui font des affiches ou du collage, utilisent des couleurs criardes et fortes qui me tournent la tête. Je fais plutôt des glacés superposés et je fonds les couleurs. Le papier il faut l’apprivoiser car il fait ce qu’il veut.

– B!B!: ton travail n’est pas purement illustratif ou figuratif. On y voit des visages, des signes mais il tend souvent vers le fondu des formes, vers un degré d’abstraction.

– IM: Dans mon travail il y a un mélange de mots, de lettres, de chiffres, des visages, des symboles et parfois il peut être totalement abstrait. Je colle, je lacère et je crée une ambiance, une atmosphère. Je colle directement mon papier sur du tissu avec de la colle basique. Je commence par faire des fonds. Quand tu n’as pas les moyens, tu es obligé de te creuser la tête et finalement c’est là que tu sors le meilleur de toi même, tu vas puiser dans tes ressources. On m’a souvent dit que le collage ce n’était pas de l’art, mais pour moi ce n’est pas vrai, et je ne laisserai pas tomber. Je me lance d’ailleurs dans la déco de meubles, c’est la prochaine étape.

– B!B!: conçois-tu mentalement tes œuvres avec précision? Définis-tu un thème, une idée a priori?

– IM: Je ne pars pas toujours d’un thème sauf quand j’ai une idée précise. Je suis fan de Dupontel et de Bernie Noël, j’adore ce mec et là je cherche une affiche de Bernie qui est introuvable mais que j’ai fini par trouver… Voilà l’exemple d’un thème en particulier. J’ai décidé de faire du bernichon. Sinon j’y vais plutôt au feeling avec les idées qui me passent par la tête.

– B!B!: quelles sont tes inspirations, tes « maîtres à coller »? 

– IM: J’aime bien les affichistes comme Rotella, Villeglé qui déchire et retouche peu, et surtout Dufrêne que j’aime beaucoup, pour son travail sur les dessous d’affiches.

Dans mon travail, je transforme beaucoup, je lacère. Par exemple, avec une affiche publicitaire si j’ai la chance qu’un colleur d’affiches veuille bien m’en donner… ou alors je les déchire moi-même dans le métro. Parfois je me fais insulter, ça peut être grave. Une fois que j’ai récupéré ma matière je décompose, je dépeins et je déstructure complètement l’affiche. Au final on la reconnaît à peine. Et pourtant elle te rappelle une époque comme par exemple Iggy Pop que je trouve minable en père Noël des galeries Lafayette, il n’a pas besoin de ça. Alors je l’ai détournée, tu reconnais l’image parce que c’est un moment de décembre 2011.

– B!B!: oui, tes œuvres fonctionnent par suggestion d’images, de visages, d’objets connus.

– IM: Il y a des images dans mes toiles que tu reconnais mais finalement tu ne les reconnais pas… Mais ça te parle d’une époque, c’est comme un parfum ou une musique que t’as écouté dans ton enfance, ça te ramène à un souvenir.

Je place aussi des symboles dans mes tableaux et lorsque j’expose, je mets à disposition des kaléidoscopes afin que le public trouve les messages que j’ai cachés. Et à chaque fois que je vends une toile je donne cet objet pour que la personne regarde la toile autrement. Ces messages sont des messages sur la société, la politique, la joie de vivre…

– B!B!: et on peut te reconnaître toi dans tes pièces?

– IM: On retrouve un peu de ma personnalité dans mes tableaux, on y découvre des messages que je souhaite faire passer. Je ne suis absolument pas dans l’agression ni dans la brutalité mais mes réalisations sont en adéquation avec ce que je pense et ce que je suis.

J’ai raté une affiche, celle de Virgin avant/après. Je voulais faire « la Défonce » avant/après. Je suis pas contre la défonce mais il faut prendre conscience que sur le moment c’est rigolo mais que ça a des conséquences. Je voulais un peu sensibiliser les gamins, sûrement parce que j’ai des gosses qui font des bêtises et que j’ai envie de leur dire de faire attention.

Finalement, je n’aime pas vraiment parler de mon travail car chacun l’interprète comme il le souhaite.

– B!B!:  Peux-tu nous parler de ton expérience au 59 Rivoli?

– IM: Ma rencontre avec ce lieu artistique, le 59 Rivoli, a été assez rigolote et spontanée. En me baladant au mois d’août dernier, je suis passée devant le 59, j’ai vu de la lumière et je suis rentrée. J’ai bu le thé avec quelques artistes, j’avais besoin de voir des confrères, car je me sentais un peu seule dans mon atelier à Châtenay avec mes toiles.

Je suis revenue la semaine pour voir des collègues qui galèrent tout comme moi car on ne vient pas pour la plupart de familles bourgeoises. On m’a donné le tuyau que c’était plutôt facile de faire un appel à projet. J’ai donc tout de suite postulé, j’ai eu un entretien et un mois après j’ai reçu une réponse favorable pour venir m’installer pendant 6 mois dans l’atelier au troisième étage.

J’ai exposé en même temps en galerie où, bizarrement, je n’ai rien vendu alors qu’au 59 je cartonne. Je suis là depuis 4 mois, j’ai beaucoup plus confiance en moi et en mon travail, et surtout je suis en contact direct avec des gens qui me donnent un retour très positif. Les gens peuvent venir voir des œuvres directement chez l’artiste, c’est ça qui est génial dans ce lieu.

– B!B!:  Pour finir je te propose de répondre aux questions du questionnaire de Proust:

– Le trait principal de ton caractère?

– IM: Je décortique beaucoup les choses pour les comprendre un peu comme le papier que je lacère.

– B!B!: la qualité que tu préfères chez quelqu’un?

– IM: Sa franchise.

– B!B!: ton occupation préférée?

– IM: Coller.

– B!B!: ton rêve de bonheur?

– IM: Je l’ai déjà.

– B!B!: ton plus grand malheur?

– IM: Perdre un proche.

– B!B!: le pays où tu voudrais vivre?

– IM: En France parce que c’est un pays de gueulards ou tu peux marquer « Fuck le président » sur les murs sans aller en prison.

– B!B!: ta couleur préférée?

– IM: Le rouge.

– B!B!: ton héros de fiction préférée?

– IM: Bernie Noël.

B!B!: ton idole?

– IM: Albert Dupontel.

– B!B!: ton groupe de musique favori?

– IM: The Kills.

– B!B!: quel don aimerais-tu avoir?

– IM: Voler.

– B!B!: Ta devise?

– IM: Ne jamais rien lâcher et transmettre.

– B!B!: et si je te dis Boum! Bang! ça t’évoque quoi?

– IM: L’échange.

(Recueilli sur http://www.boumbang.com/i-m-arty/)

http://www.artmajeur.com/fr/artist/imarty